Jacques Emond

Jacques Emond - Taverne Prince Baudouin, Namur - 2 septembre 2016
Jacques Emond – Taverne Prince Baudouin, Namur – 2 septembre 2016. Photo PVC.

Comment évoquer Jacques Emond ? Il y a une dizaine d’années, Patrick me l’a présenté lors d’un traditionnel déjeuner chez Panaiotis et Eva. C’était un mardi. Important, le mardi, car depuis, quasi invariablement, un mardi sur deux nous nous sommes retrouvés autour d’un plat du jour, toujours trop copieux pour son appétit de moineau.

Bougon, gueulard, péremptoire sont autant d’adjectifs qui viennent à l’esprit pour caractériser le sien. Autant d’excès de langage qui n’avaient d’égal que se capacité d’écoute, son humanité et sa générosité.

La conversation était toujours équilibrée entre ses aventures de la semaine, les nouvelles demandées de nos familles et la revue de l’actualité, le plus souvent économique et financière. Et la connaissance de l’Histoire aussi qui avait le don de gommer les vingt printemps qui nous séparaient.

Ce grand intellectuel -avant tout un homme de chiffres qui avait inventé le data journalisme avant tout le monde- savait se faire tout petit et écouter les conseils quand il s’agissait d’une question technique. Combien de fois ne l’avons nous pas aidé pour un problème domestique, de son GSM à l’éclairage en passant par la configuration d’un ordinateur ou la rénovation d’un appartement.
Il était en effet devenu adepte des allées du Brico, à l’occasion de la rénovation de son appartement bruxellois : nettoyage, peinture, démontage de la cuisine, il fut impressionnant d’efficacité.

A Narbonne aussi, il exerça ses talents de bricoleur dans la restauration d’une vieille maison. Il créa là une nouvelle trinité composée du Canal de la Roubine, du café Central et des Halles où il sifflait volontiers un plateau d’huitres accompagné d’une bouteille de Picpoul de Pinet.

Généreux, il le fut de manière flamboyante lorsqu’il me prêta gracieusement cette retraite narbonnaise, le temps d’une semaine de vacances familiales. Chaque étage de cette étroite maison du centre historique de Narbonne était équipé d’un mini-frigo garni d’une petite bouteille de champagne. Jacques n’aimait pas avoir soif et veillait à ce que ses hôtes soient épargnés par cette malédiction.

Mon papa, un autre Jacques, qui l’a rencontré à Narbonne alors qu’il cherchait à cerner la sociologie narbonnaise pour s’y établir lui aussi est tombé immédiatement sous le charme :
« Pittoresque, le garçon. En effet, il n’est pas contre un verre, ni même contre deux. Mais, pour ce qui est de nous renseigner sur les quartiers de Narbonne, son univers se limite à une aire restreinte où il y a la plus forte concentration de bistrots et de restaurants. Mais ce n’est pas grave, nous avons bien progressé dans l’exploration de la ville et nous sommes ravis d’avoir fait sa connaissance. »

Aujourd’hui, il est parti et j’ai l’impression de le connaître depuis toujours. Sa maladie le mit de fort méchante humeur les dernières semaines qu’il partagea avec nous. Ses traits de caractères puissants étaient devenus une caricature de lui-même, comme l’expression d’une souffrance infinie.

Qu’aurait-il pensé de cette évocation si partielle? Il l’aurait sans doute ponctuée d’un tonitruant : « Mais noooon mon vieux, tu n’as pas étudié le dossiéé, tu n’y connais rien ! »


On lira aussi le bel hommage de Béatrice Delvaux paru dans Le Soir du samedi 17 septembre 2016.