Harmoniques # critiques

Nos Lettres – Association des écrivains belges de langue française – n°4 – avril 2001

La table des matières de ce recueil de poèmes révèle déjà le classicisme de l’auteur (Cosmiques, Lyriques, Tragiques, Rythmiques et Poétiques). À pas prudents, notre poète aborde les thèmes choisis avec un souci évident d’embrasser tout le sujet envisagé. À propos de sujets simples, Jacques Goyens laisse courir sa plume qui se plie aux exigences d’un esthète. Dans sa perception du monde, l’imagination joue un rôle important et lui fait découvrir le lexique approprié. L’auteur est fort sensible au rythme et aux charmes de la musique en général.
Émile Kesterman

Les cerisiers de Jacques – Préface de Jean-Louis Crousse

Cerisiers en fleurs
Silence de l’aube
Pureté des sons
de ton âme

D’un poète l’autre, le chemin est souvent aventureux, complexe et parfois, c’est mon cas quand je pénètre dans les chambres, les jardins, les ciels de Jacques Goyens, parfois il me semble c’est la porte à côté. Oh! c’est différent, certes, mais proche, ça ne s’explique pas mais se respire aux effluves des mots, c’est comme ça! C’est comme si, arbres toi et moi, s’établissait entre nous une sorte de végétal dialogue, de lilas à cerisiers par exemple.

Mais, trêve de cette métaphorique entrée en matière, allons-y voir, cherchons les contrastes où le poète tour à tour se révèle, se déchire, se déploie à tous les vents capricieux qui le harcèlent et, pour ce faire, je prends le titre du recueil, « Harmoniques » (avec la table des matières si fortement et harmonieusement structurée: Cosmiques, Lyriques, Tragiques, Rythmiques et Poétiques) et d’autre part un des poèmes tragiques, « Le cri » poussé par une femme, mais d’où? « puissant, strident », trouant le repos nocturne du poète, entre son sommeil et le silence qui s’en suit, comme une embardée, « défi au bon sens, à la mesure, à la loi », comme un coup de tempête, une déferlante d’effroi sur un lieu par excellence protégé, intime, par vocation habité d’un peu de luxe, calme, volupté.
Mais ce n’est pas tout, une autre préoccupation du poète apparaît à cet instant, la musique. Jacques donne à ce cri ses lettres de noblesse, et rien à voir, selon lui, avec « les vociférations des noctambules », ce cri perçu, qui le fait dresser sur son lit, revêt « la souveraine beauté d’une vocalise », il « se suffit à lui-même ».

D’où la question: « jailli du fond des entrailles et planant au-dessus de la ville », est-ce encore un cri? Une fois entendu, n’est-il pas plutôt échappé, volé au chaos et donc bercé et subtilement changé par le désir d’harmonie du poète? Cette question, sans réponse évidemment, je me la pose à lire ce texte qui est prose ou poésie, et là non plus je ne trancherai pas, tant Jacques Goyens se poste volontiers en ces terres d’entre-deux, entre le piétinement, voire « l’amertume » des jours, et l’heure transfiguratrice, et de celle-ci, que de choses à dire! par quoi s’achèvera mon propos.

Mais il faut expliciter avant, raison de plus de me plaire parmi ces « Harmoniques », combien cette poésie est impure; j’entends par là que chaque texte est une fenêtre ouverte tantôt sur un espace infini, tantôt sur un petit coin, un canton du monde, et tantôt c’est « le temps d’aimer, d’accrocher un miroir sur le mur gris de mon inquiétude ». Ce poète – qui est le romancier du temps où « Les enfants de Munich » oubliaient les bruits et fureurs où furent entraînés leurs pères pour s’adonner entre sérénité et passion à plus important, plus crucial, le contrepoint des voyages, les géométries et cartographies de l’amour – ce poète est aussi une caisse de résonance très aiguë des mille événements, grands et petits, qui lui parviennent. Il y a du journaliste, du chroniqueur en lui dans l’art qu’il a de conter les choses de la vie, et jusqu’aux faits divers, dans sa façon de redécouvrir Paris en parcourant ses avenues obliques, dans ses enthousiasmes, ses indignations, ses coups de cœur, ses « corps à cœur ».

Il faut aussi relever le souci qui est sien d’être compris, d’être lisible. J’en viens enfin à ceci: au plus fin, au plus exquis et prenant de son inspiration, Jacques Goyens n’est pas le poète du cri, mais un mélodiste qui murmure, « déroule son ruban de soie grise » et vole quand il peut « des moments de bonheur » à la mélancolie ambiante de la vie, à l’angoisse sourde, à la maladie, la mort. Et rien ne vaut, après tout, ce don du lied, méditatif et plutôt doux qu’amer, qui est le fil d’or des « Harmoniques ».

Ainsi en ces vers:

Ta prunelle de velours
qui luit au vent d’octobre
joue une étrange mélopée
sur les cordes de mon âme.

Le 13-11-2000, Jean-Louis Crousse

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