Le partage des eaux
# critiques

Marie-Clotilde Roose

Ce livre de Jacques Goyens, paru aux éditions Comédia, fait référence à un lieu-dit, non loin d’Avignon : « C’est là que la Sorgue s’élargit et se divise en deux bras qui s’élancent chacun vers leur destin. (…) L’endroit est empreint d’une sombre beauté. Il y règne une fraîcheur propice à la méditation. » Ce qui intéresse l’auteur, à travers cette métaphore du fleuve se dédoublant, c’est de montrer comment les relations entre personnes se font et se défont, suivant des flux souvent incontrôlables, des attentes et des refus imprévisibles, des ouvertures secrètes attirant ou repoussant les êtres les uns vers les autres. Une pétulante journaliste, Sophie, rencontre Julien, jeune archéologue plutôt réservé, qui lui-même s’approche de Delphine, laquelle demeure distante, tandis que Sophie retrouve un ami de jeunesse, Marcel, enferré dans une relation ambiguë avec Danielle, comédienne brillante et narcissique. Les nœuds se forment, se délacent ou se resserrent. Mais on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve…

De son univers classique, le professeur de lettres et d’histoire a gardé le goût des tragédies antiques, des dénouements abrupts. Le récit, quant à lui, se déroule en douceur, dans l’observation des mœurs et la mise à jour des pensées intimes, qui motivent le comportement des personnages. L’écriture au présent permet de suivre, comme sous l’œil d’une caméra, chacun d’eux dans ses avancées et retranchements, ruses ou abandons. C’est une fresque moderne que Jacques Goyens s’est plu à peindre, en croquant des portraits et des situations « d’aujourd’hui », pour révéler, sous le vernis des apparences, l’inapaisement des cœurs.

Marie-Clotilde Roose
Le Mensuel littéraire et poétique, n°344 – octobre 2006

Francis Mathys

Du « Partage des eaux » (du nom du lieu-dit près de l’Isle-sur-la-Sorgue indissociable de René Char), l’action commence à l’avant-veille du printemps, à l’instant où nos pas s’inscrivent dans ceux d’une Sophie de trente-deux ans, dont le cœur bat en dépit de ses bleus à l’âme. Journaliste belge qu’on voit régulièrement à l’écran, passionnée par les problèmes de justice, Sophie est en poste à Paris pour notre Télévision. Ce matin-là, l’envie lui prend de rendre visite à ses parents, à Bruxelles, et d’y participer à une manifestation contre « la loi du silence », visant à réclamer davantage de transparence dans les affaires judiciaires. De retour chez elle, son travail la réaimante. Un roman sur des rencontres – comme dans les films de Claude Sautet -, qui évoque quelques solitudes qui se frôlent ou s’épaulent, mais aussi la mort prématurée d’une actrice et l’irruption de l’Amour. De ce récit rythmé, à l’écriture précise, aux (peut-être trop) nombreuses références culturelles, on tirerait un attachant téléfilm.

Francis Mathys

La Libre Belgique, 17-06-2005.

Henri Prémont

Danielle, Marcel, Sophie, Julien, Delphine… de l’archéologie à la télévision, en passant par Paris et la Provence, partout on découvre des mélanges d’êtres qui se cherchent, qui se découvrent, qui s’aiment, où on confond parfois l’amour et l’amitié, avec des solutions sentimentales très compromises par l’état caractériel de tout-un-chacun. Au sortir de ce livre, on ressent l’odeur de Paris et la lumière de Midi, avec ses merveilleuses ruines gallo-romaines.

Henri Prémont
Pyrénées-Roussillon-Hebdo-n°1368, L’Hérault de l’économie et des affaires, L’Aude Hebdo.

Marie Nicolaï

Le partage des eaux, c’est là que la rivière la Sorgue s’élargit et se divise en deux bras qui s’élancent chacun vers son destin. L’un traverse la ville et l’autre serpente dans la campagne environnante. Partage des eaux, croisée des chemins, ce lieu de toute vie où le destin bascule. Ainsi en est, en sera-t-il des héros de cette histoire : Danielle, Marcel, Sophie, Julien, nous contée par Jacques Goyens, homme de savoir, érudit entendu en moult domaines.

On savait déjà –depuis la sortie de Les enfants de Munich– que cet auteur avait le don d’actualiser le mouvement par une écriture véhiculaire qui, ne suggérant presque rien, ne se fie qu’à l’instant vécu. Lieux communs ? On est toujours le commun d’un lieu ! Daniel Gillès, pour sa part, affirmait qu’il cultivait cette manière d’écrire : la meilleure façon de raconter une histoire sans avoir à rechercher métaphores ou trouvailles. Que dirait-il à la lecture de textes récents où l’on se joue aussi bien de la ponctuation que d’un langage parlé à la courte semaine ?

Le roman de Jacques Goyens est donc d’une facture classique durant lequel, selon un schéma de tragédie antique, il conduit ses personnages (amoureux, aspirant à le devenir) dans les dédales de fouilles archéologiques, de reportages télévisés à travers le France, au festival d’Avignon, dans le Midi au bord de la mer ou tout simplement dans un Paris que notre auteur semble fort bien connaître. Tranches de vie, finalement troublées par la mort et revigorées par une future naissance attendrissante…

Qui dit mieux ?

Marie Nicolaï
Nos lettres, décembre 2004

Joseph Bodson

On retrouvera dans ce livre les qualités du précédent ouvrage de notre ami, Les enfants de Munich : une intrigue solidement construite, des personnages nuancés, un style clair. Il a l’art, comme Jules Romains ou Aragon, de mêler à ses personnages les grands courants de l’histoire. Ainsi ai-je été frappé, au début, par l’évocation de la marche blanche. Le hasard des rencontres, comme chez Romains, est pour beaucoup dans l’intrigue (p.82) ; et c’est une sorte d’imbroglio sentimental, au dénouement tragique, qui va ainsi se nouer au fil des pages. La sensualité elle aussi joue un grand rôle dans ce roman. De même que l’évocation des paysages, des voyages : tantôt c’est une femme qui sert de fil conducteur, tantôt un itinéraire… mais je ne vais pas bien sûr vous dévoiler l’histoire. Disons simplement que, p.189, l’évocation du partage des eaux, à l’Isle-sur-Sorgue, est une belle réussite.

Joseph Bodson
Le reflet de chez nous, novembre-décembre 2004

A la découverte d'un écrivain