Mon père, cet inconnu
# critiques

France Bastia, présidente de l’Association des écrivains belges

Il n’y a pas très longtemps, Jacques Goyens découvrait dans sa cave des lettres et des documents ayant appartenu à son père mort il y a un demi-siècle et, en les parcourant, il prend conscience à quel point il connaissait peu ce père aux côtés de qui il avait tout de même vécu pendant une vingtaine d’années.
Quant à ton passé, jusqu’à ma naissance, c’était pour moi un trou noir, une terre inconnue.

Car, c’est en s’adressant à lui que Jacques Goyens va remonter aux sources — Tu es né le premier décembre 1908, à Bruxelles — et refaire à ses côtés tout le chemin parcouru depuis cette date jusqu’à cette année 1960 où Quand je suis rentré à midi (de Louvain, où il était étudiant en philologie romane), tu avais cessé de vivre. (…)
A vingt et un ans, je faisais l’amère expérience de la mort brutale. Tout espoir de dialogue était brisé. (…) Jusqu’à ce que je retrouve, quarante-six ans plus tard, tout ce courrier qui s’est abattu sur moi comme une tornade et qui m’a permis de te faire revivre et de te faire quelques confidences que je n’ai pu te dire de ton vivant. Je te les confie maintenant dans ce livre.

Je ne raconterai ni même ne résumerai ici le contenu de ce livre. Mon père, cet inconnu, c’est un livre qu’une fois commencé, on ne lâche plus jusqu’à la dernière page. C’est le portrait d’un homme que la vie n’a vraiment pas gâté, mais que les lettres retrouvées ressuscitent si bien qu’il finit par nous être aussi proche qu’à son fils. C’est l’histoire d’une famille pareille à toutes les familles, et pas très différente de la nôtre.
C’est aussi, par petites touches ici et là, le rappel, en toile de fond, des grands événements qui marquèrent une époque aujourd’hui bien révolue. Mais si, à sa source, Mon père, cet inconnu, se voulait le « souvenir pieux » d’un fils à son père, à l’arrivée, c’est un livre d’écrivain et, sans doute, l’un des plus réussis et des plus émouvants de Jacques Goyens.

France Bastia in Nos lettres Janvier 2009

Michel Ducobu

A l’heure où bon nombre d’écrivains ou de célébrités de toutes sortes se dévoilent en long et en large dans de complaisantes autobiographies, Jacques Goyens la joue perso en osant écrire sur un illustre inconnu, son propre père. Dominique Fernandez, de l’Académie française, l’a fait après lui, en offrant Ramon à l’auteur de ses jours, trop peu fréquenté par le fils mais bien connu par contre du gratin littéraire français. C’est un peu la même raison qui a poussé Goyens à se lancer dans cette aventure inhabituelle: l’auteur a perdu son père au moment où il finissait ses études universitaires. Il l’aura côtoyé durant vingt et un ans à peine. C’est bien trop peu pour connaître un homme d’autant plus que ce dernier n’était pas du genre à s’ouvrir facilement. Sérieux, réservé, victime du divorce rapide de ses parents, Charles Goyens s’est réfugié, durant sa vie trop brève, dans l’étude et le travail. Qui était réellement cette « grande personne », cet homme de bonne volonté qui s’est éteint à 52 ans, après avoir laissé choir sur son lit d’agonie le roman inachevé de Stendhal, Lucien Leuwen ? Mon père, ce héros, ce zéro, ce Néro ? Un aventurier, un raté, un pater familias despotique ?

Rien qu’un homme de tous les jours mais, à l’image du personnage anxieux et scrupuleux de Stendhal (au nom flamand comme le sien…), un être hanté par son double, en qui s’incarnait étrangement la dualité entre l’idéal et le réalisme.

Pour recréer ce père disparu dans la force de l’âge et le flou de la distance, pour retrouver ce triste temps perdu, Goyens a eu la chance et l’immense mérite de pouvoir compulser et exploiter minutieusement une liasse de lettres, de documents divers, de photographies, retrouvés comme par miracle au fond d’une cave. A la manière d’un historien qu’il a été professionnellement et d’un romancier qu’il a choisi de devenir, à l’aube de sa retraite, Goyens retrace la vie, les épreuves, les travaux et les jours de son père, un véritable humaniste, si doué pour la recherche qu’il aurait pu être non pas seulement chimiste mais écrivain ou artiste, si la vie l’avait mieux traité. Son fils a hérité de lui la rigueur, le goût du détail, le plaisir d’utiliser chaque mot comme un outil, avec justesse et amour. Avec un certain plaisir de collectionneur parfois, un peu à la manière du Perec des Choses ou de Je me souviens.

Ce qui fait le charme de cet ouvrage, c’est le mélange de l’ordinaire d’une existence toute pareille à celle de millions de vies et de l’Histoire qui se déploie autour d’elle. Le lecteur verra ainsi défiler les trois-quarts d’un siècle à sensations fortes, de 1908 à 1960 et reconnaîtra, ému et captivé, les étapes, les événements, les us et coutumes, les décors de son monde à lui : Bruxelles du temps jadis, la Province des trains à vapeur et des hauts-fourneaux, la Côte convalescente de l’après-guerre, la Normandie du débarquement et des vieilles cartes postales…

Plus qu’un devoir de mémoire, ce récit de vie est un modèle, à la fois de précision et de tendresse : le tutoiement que l’auteur adresse à son père le rapproche enfin d’un être cher qui méritait amplement d’être « livré » au livre, aux souvenirs pieux d’un fils, lesquels laisseront désormais un peu d’éternité briller sur son nom.

Michel Ducobu in Reflets Wallonie-Bruxelles Mars 2009

Dominique Aguessy

Un ouvrage plein de tendresse pour la figure du père. Un ouvrage qui nous rend aussi éminemment sympathique la personne de Clémentine, la grand-mère, si bien décrite par touches successives tout au long de l’ouvrage. C’est aussi une restitution de l’atmosphère d’époque et des bouleversements au niveau des relations familiales et personnelles causés par les deux guerres mondiales. J’ai lu ce livre avec beaucoup d’empathie.

Dominique Aguessy

Sur le blog de Jean Botquin

Le livre de Jacques est à la fois oeuvre d’historien, enquête à allure policière, petit Da Vinci Code familial, décodage de société. Il fait parler des phrases écrites il y a longtemps sur du papier jauni par le temps, et il les fait parler avec des accents de tendresse retenue qui bouleverse le lecteur à maints endroits. Jacques dit de son livre que c’est un récit de vie. Oui, si c’est un récit qui raconte la vie de quelqu’un, la vie de son père. Non, dans la mesure où son livre brosse une fresque familiale et sociale beaucoup plus large qui nous fait entrer dans la sphère d’un roman. En tout cas, peu importe la catégorie littéraire dont il relève; ce livre se lit d’une traite, et, quand on arrive à la postface qui clôt le récit d’une façon particulièrement émouvante, l’envie vous prend de recommencer la lecture séance tenante, pour tirer des racines familiales de Jacques la quintessence vitale dont notre mémoire continuera à se nourrir.

Jean Botquin

A la découverte d'un écrivain