L’insondable énigme
# critiques

Inédit Nouveau 2011 N°249

Après un beau succès de « Mon père, cet inconnu », un recueil de nouvelles, L’insondable énigme, reprend le thème déjà traité, mais sous des formes entièrement différentes. Ce n’est plus cette fois le père et ce n’est pas non plus la mère de l’auteur, mais la femme mythique, celle que nul n’a jamais rencontrée en fait, une sorte de rêve. Mais ce rêve, tous les hommes l’ont fait et Jacques Goyens le sait bien, qui utilise toutes les héroïnes possibles en « incertitudes amoureuses », en « portraits » et dans une fausse postface, « Dolorosa », après une fausse introduction qui parle d’autre chose, mais éclaire parfaitement le projet de l’auteur, encadré dans des faits divers dont l’importance n’apparaît que dans une relecture pour le plaisir du style : quelles femmes !

Paul Van Melle

Le Non-Dit n°90 Janvier 2011 – L’insondable énigme et le cortège des éphémères

Nourri de culture classique, Jacques Goyens tente d’énoncer la redoutable question qui affleure la plupart des hommes : « Comment nouer le fil rouge de la relation ? »(…)
Les « tableaux » et les « mises en situation » proposés par l’auteur ouvrent la voie. Sans anticiper sur la portée de ces nouvelles, brèves par définition, saluons chez Goyens une honnêteté intellectuelle et une faculté d’analyse de bon aloi. C’est bien au moraliste désenchanté que nous devons une galerie de portraits significatifs, attachants et sensibles, autant de récits habilement troussés qui laissent la porte grande ouverte à toutes les incursions étrangères. « L’homme qui aimait les femmes » est tout pareil au lecteur de Charles Baudelaire : « mon semblable, mon frère »…
L’homme que nous nous efforçons d’être, est agité par un impérieux besoin d’aimer et d’être ailé. Sensible, comme dans DELPHINE, à la qualité d’une relation « riche de tonalités affectives », l’amant, le chasseur, le « désirant » jeté, comme dans CHARLOTTE, « entre rêve et réalité », victime des guerres antérieures dont la compagne exhibe les stigmates, l’homme pris au collet de l’amour dans DANIELLE, jeté au feu des passions contradictoires et destructrices : « Non seulement il y tombe, mais il y va d’un coeur joyeux, innocent comme l’agneau que l’on mène au sacrifice. » Ainsi nos vies traversées par ces « héroïnes diaboliques imaginées par Barbey d’Aurevilly. »
Dans l’insondable énigme, la nouvelle qui prête son titre à l’ensemble, Goyens évoque le caractère répétitif des situations affectives.(…) Dans la foulée du très académique La Bruyère, Jacques Goyens tire la leçon (terrible et si souvent frustrante…) d’une rencontre avortée dans sa construction même, ou secrètement inventée par la femme qui, comme dans ERYNNIE, se venge de très obscures frustrations !
L’écriture est fine, juste, fidèle à une retenue naturelle. On sent que l’auteur nous ferait volontiers visiter d’autres galeries, d’autres temps, d’autres mémoires, mais le thème récurrent de l’énigme file doucement sa laine, nous visite et quelquefois nous absorbe.

Michel Joiret

Nos Lettres n°1 Janvier 2011

Peintre, Jacques Goyens eut été impressionniste, et même pointilliste : pas de gros effets chers à Soutine, pas de caricatures à la manière d’Otto Dix. Non, des touches intimistes, des Renoir, des ambiances furtives où rien n’est définitif ni gravé dans le marbre.
Et pour cause, il s’agit pour notre auteur d’esquisser, pour mieux explorer et plus librement sans doute. Car la question est d’importance, la plupart des hommes -et pas mal de femmes- en conviendront : finalement, qu’est-ce que l’amour (vu par un homme) ?
Que sont les femmes, en définitive ? Question angoissante, si l’on y réfléchit, et pour autant qu’on les aime, les femmes (peut-être devrais-je écrire LA femme ?) Que nous donnent-elles qu’elles ne nous retirent parfois dans l’instant ? Que croyons-nous (nous, hommes) savoir d’elles, et comment nous orienter dans un tel labyrinthe ?
Alors, L’insondable énigme ? Un catalogue de cas réels, une galerie de portraits typiques ou amusants ? Non point. Un livre de conseils ? De recettes ? Pas davantage. Pas plus qu’une thèse sur le sujet. Mais des nouvelles qui furètent, ouvrent sur l’une ou l’autre piste, parfois sans issue.
A chaque rencontre, une possibilité : certaines ne vont pas plus loin qu’elles-mêmes, sont barrées d’épines, d’humiliations, signes non équivoques de manque de confiance en soi et donc en l’homme.
D’autres rencontres rachètent les premières, heureusement serait-on tenté de dire, s’ouvrent sur la Carte du Tendre (on devrait plutôt écrire de Tendre) de Madeleine de Scudéry, heureusement revisitée : l’homme et la femme tels qu’en eux-mêmes, y retrouvent leur rôle éternel et leur couple nous emmène, loin.
Loin de la peur de faillir…

Yves Caldor

Reflets Wallonie-Bruxelles n°26 Décembre 2010

L’homme qui aimait les femmes… Non, ce n’est pas la faute à Rohmer ou à Truffaut , mais à ce démon de midi qui taraude plus encore les vétérans désoeuvrés que les actifs éreintés, au passage de jolies créatures perchées sur de provocants talons… C’est ce qui arrive encore, et avec son plus généreux consentement, à cet infatigable observateur qu’est Jacques Goyens.

La moindre occasion, la rencontre la plus anodine, un simple regard et la plume se met en branle : qui est-elle ? Que cache-t-elle ? Quelle est son histoire secrète ? Que vais-je lui inventer comme double vie ? Et le défilé passe en douceur et tout en élégance devant les yeux exaltés de notre aimable

voyeur

(au sens premier du mot : qui voit, qui regarde, qui devine au-delà des parures et des sourires forcés, des rides douloureuses, à l’ombre des mèches coquines…). L’hôtesse d’un gîte perdu, une jeune beauté dans une chaise roulante, une appétissante chevrière, une robuste et taciturne sportive, deux craquantes serveuses, une Russe ou quelque rusée de rencontre, une Lulu délurée, une Charlotte languissante, une Annabelle compliquée… Toutes ont un mystère, un jeu complexe dans leurs fines mains gantées, un pouvoir de séduction et de ravage qui n’épargne personne, elles en premier lieu… Valse-hésitation en permanence… Insatisfaites chaque fois, incapables toutefois de retenir et de porter l’autre à son sommet, à un pic de fidélité, où l’homme pourrait se sentir rassuré et fixé.

Cette éternelle comédie des sentiments, que l’on pratique partout, plus ou moins habilement, selon le degré d’invention dont nous sommes capables, l’auteur la fait sienne avec talent, usant d’une écriture souple et plaisante, parfois distraite, mais bien pardonnée par un lecteur qui se retrouve facilement dans chaque situation évoquée…

Le recueil de portraits et de rencontres s’achève sur la vision pointue que l’on attendait : celle d’une Salomé de boutique de luxe, admirablement chaussée d’une paire de gondoles italiennes…

Nous attendons désormais Goyens au balcon d’un autre théâtre, où seraient démasqués quelques bourgeois trop convenables, cachant dans leurs poches recousues de magnifiques fouillis de fantasmes et d’aventures secrètes…

Michel Ducobu

A la découverte d'un écrivain