Les enfants de Munich
# critiques

Jean-Louis Crousse

Voilà un livre bien fait et paradoxal de surcroît, puisque les deux héros, Frédéric et Barbara, nés aux heures probablement les pires du siècle, dans des camps antagonistes, vont vivre après la guerre des temps globalement sereins, une complicité profonde que tout conspire à transformer en convergence de désirs et de plaisirs d’amour de plus en plus partagés. Certes l’ouragan de la guerre et de la peste nazie n’est pas passé sous silence; c’est même de cela que leurs mémoires sont nourries, mais la vague est bien passée, jugulée, elle ne hante pas leurs nuits ni leurs jours et rien de semblable ne s’annonce à l’horizon. Ce livre n’est pas tragique le moins du monde, tout coule, « panta rei », et c’est très bien ainsi. L’éveil de la vie, le flux du désir naissant chez les deux jeunes gens, la quête du bonheur, tout cela a toutes les apparences d’un long fleuve tranquille; les pensées, studieuses, font leur chemin, plus ou moins parallèlement. En ce sens d’écoulement et de métamorphoses, on peut légitimement qualifier « Les enfants de Munich » de roman-fleuve.

Jean Louis Crousse
Jean Louis Crousse
Pour aller un peu plus avant dans l’analyse de la facture du roman, je rappelle ici l’idée, développée ailleurs par l’auteur, de l’identité belge en tant que creuset de l’Europe. Ainsi la composante française se retrouve dans « Les enfants de Munich » quand on examine la composition du livre (l’auteur est philologue romaniste): écriture d’une grande élégance, économie de moyens, les idées sont claires et distinctes, cartésianisme pas mort. Jacques Goyens choisit toujours le fait, le détail significatif, éclairant plutôt que de se laisser entraîner par tous les vents. Ce goût de la maîtrise semble privilégier le non-dit, l’effacement de ce qui menace l’irrationnel, la passion. Les deux protagonistes « raison gardent », même profondément épris, ils ne cravachent pas le présent dans leurs desseins sexuels et sentimentaux. C’est pourquoi j’ai parlé de roman non-tragique, les sentiments négatifs, les forces destructrices n’interviennent pas. C’est ainsi, c’est le choix du romancier, et l’on peut, soit suivre l’écrivain, ne pas chercher à savoir pourquoi, rester l’observateur, le lecteur discret, soit se poser des questions, interroger les mots et le non-dit, essayer de saisir ce qui sourd par dessous. J’ajouterai que, si la tête est française, le coeur est allemand, ce qui rapproche quelque peu Jacques Goyens de Romain Rolland dans Jean-Christophe.

Je vois deux points très forts dans ce livre:
– l’épanouissement de la sexualité et l’érotisme qui colorent merveilleusement le livre, d’autant plus juste et enveloppant que cela s’opère de manière suggestive (l’inceste et le lesbianisme y ont leur place).

– le besoin de comprendre, avec, comme auxiliaires, la philosophie, l’histoire et l’archéologie.Sentiments, musique, philosophie: on est proche, me semble-t-il, des grands romans de Goethe: Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister et Les Affinités électives.

Jean-Louis Crousse

Joseph Bodson

Tout cela réuni donne aux « Enfants de Munich » une grande harmonie: le roman, à travers ses apparentes errances, se dirige vers une fin très calculée, très construite, avec un grand art de l’intrigue, et nous délivre le message du plus bel humanisme: la réconciliation des anciens peuples ennemis d’Europe, et cela non dans une perspective égocentrique, mais afin de permettre à l’Europe, à son tour, de s’ouvrir sur d’autres continents. Ce n’est pas impunément que l’on passe des Hautes Fagnes à Balise, à Trêves, à York, à Coblence, Barcelone et Marrakech, pour aboutir finalement à Munich. Le passé nous construit et les méandres de notre coeur et de notre esprit ne sont pas sans évoquer ceux que tracent, sur les vieilles cartes d’Europe, les fleuves et les frontières, même si ces frontières sont appelées un jour à disparaître. Et c’est ainsi que le livre se termine par l’évocation de Henri Heine, le juif allemand, en tant que figure emblématique du rachat de l’Allemagne, et peut-être de l’Europe.

Joseph Bodson

La Libre Belgique du 24 août 1999

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Radio Antipode 12/03/2001

Chapeau : A vous Livre s’élance sur deux tranches de vie magnifiquement rendues par Jacques Goyens dans les Enfants de Munich. DENIS LEDUC

Les Enfants de Munich de Jacques Goyens
Les enfants de Munich c’est-à-dire ceux qui sont nés après l’immense et fallacieux espoir de paix négociée entre Daladier, Chamberlain et Hitler à Munich en 1938 et qui ont donc connu l’enfance que l’on sait.
A la Foire du livre de Bruxelles l’auteur me confiait avec beaucoup d’émotion qu’il en était un et qu’après la mort de son père il avait retrouvé un courrier de celui-ci adressé à sa mère et qui en quelque sorte planifiait sa naissance. Ce courrier il l’a utilisé en ouverture du roman.
Le roman va suivre la vie de deux de ces enfants : Frédéric, le Belge et Barbara, l’Allemande. Même si jusqu’à plus d’une bonne moitié du livre Jacques Goyens s’attache plus aux pas, aux émotions de Fréderic.

Au travers de sa prime enfance on revit les premiers mois de la guerre, l’exode, l’attente de la fin de la guerre, la libération. Puis c’est la scolarité, l’adolescence et ses premiers émois et l’université. Le parcours du tendre, l’initiation sentimentale, la découverte des corps et les premiers voyages.

L’auteur rend cette époque avec finesse et un net attachement qui fourmille de petits détails très vrais. Ainsi l’ambiance de l’Expo 58 et ce qui s’en disait est offert au lecteur avec une nostalgique jubilation.

Barbara nous est décrite déjà adulte dans une Allemagne qui se reconstruit et dans ces familles peuplées de fantômes disparus d’une époque et les questions silencieuses de l’Allemagne sur l’Allemagne.

Ils vont se trouver et lentement ces deux Enfants de Munich vont cheminer vers l’amour et l’état de couple.

Le livre se conclut par une vibrante interrogation sur la liberté, la force de
l’esprit de liberté et les pièges du totalitarisme nationaliste.

Je vous signale que Jacques Goyens est également l’auteur d’un recueil de
poésie intitulé Harmoniques.

Les Enfants de Munich de Jacques Goyens aux Editions Lux

Denis Leduc Radio Antipode sur 105.5 Mhz en Brabant wallon

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