Harmoniques # extraits

Cosmiques – Communiqué colombophile

Breteuil 7 heures 19, nuageux à couvert,
attendre!
Colombes envolées
dans la lumière du matin,
tout vous semble facile:
le premier battement d’ailes
qui vous libère de la corbeille d’osier
où l’homme vous enferme,
l’envolée superbe
qui vous place déjà bien loin
au-dessus de l’odeur de la terre,
le long voyage aussi
qui vous ramène
au pays de vos amours.
Beaumont 7 heures 10, nuageux,
attendre!
Ô! Pouvoir s’élever avec vous
au-delà du cercle brumeux
de ma fatigue!
Noyon 7 heures 26, nuageux à beau,
lâcher à partir de 8 heures!

Attendre, le faut-il?
Pourquoi toujours ces veilles,
ces nuits aux jours pareilles?
Les convoyeurs
Impatience, Mélancolie,
Tristesse et Errance,
lâchez à partir de 8 heures!

Ô! Quitter le port,
avec vous, colombes!
Illiers 7 heures 30,
lâcher à toute heure
avant que je ne meure!

Lyriques – Ponctuation

Ton corps,
fascinant, mystérieux,
inexploré, inexplorable,
en dépit de tous les blasons
où s’épuisent les poètes.

Tes jambes, points d’exclamation
qui ouvrent la porte de mon étonnement.
Ta croupe rebondie,
annonciatrice de mille voluptés.
Ton ventre, carrefour insondable,
qui parenthélise toute autre question.
Tes seins, menus ou pleins,
qu’importe? toujours généreux.
Tes bras, guillemets posés sur tes hanches.
Tes mains, jamais distraites,
toujours occupées là où il faut.
Et par dessus tout, cet œil,
longue-vue qui sonde les cœurs
en de mythiques points de suspension.
Parties connues d’un tout qui m’échappe,
corps de femme au soir de ma vie,
Tu es l’insondable énigme
pour un cœur qui s’emballe
dans un corps à cœur infini,
point d’interrogation.

Tragiques – Soljenitsyne

Sang bleu des corps suppliciés.
Orgies des interrogatoires crépusculaires.
Liberté crucifiée et crime de haute trahison.
Justice! Signez votre déposition!
Écrasement progressif de toute chair.
Nuit où l’on vous arrache au sommeil.
Ivresse du mensonge et archipel de l’anéantissement.
Terreur de l’inconnu et vanité de la révolte.
Spasmes de l’âme en délire d’infini.
Yeux gonflés de lumière et de honte.
Nerfs d’acier passés au laminoir du Goulag.
Et l’éclair de l’Espoir éclate dans l’exil.

Rythmiques – Les oeufs

Il y aura toujours des oeufs,
disait-elle.
Viens quand tu veux.
Pliée en deux,
perclue de rhumatismes,
elle me reçoit dans sa cuisine.
Ah! Te voilà, dit-elle.
Et soudain son visage s’illumine.
Il y a des oeufs, dit-elle.

Aujourd’hui, allez savoir pourquoi,
elle m’apparaît, cette grand’mère,
plus jeune que jamais.
Je ne parle pas de sa peau
qui est ridée, tanée,
ni de ses os
qui soutiennent vaille que vaille
ce corps désassemblé,
ni de sa poitrine, ni de ses bras,
ni de son ventre, affaissé,
las, oh! combien las.
Je parle de son coeur,
de son dévouement, de sa douceur.

Elle se tient debout, les jambes arquées,
à peine appuyée au rebord de la table,
et elle bat les oeufs.
Ah! Pourquoi faut-il toujours battre
quand il serait si doux de caresser?
Tandis que nous savourons son omelette,
aux fines herbes,
gonflée de vie et d’amour,
elle me fixe d’un regard assuré
et profond comme un adieu.
Huit jours plus tard, la vie l’avait quittée.
Il y avait des oeufs dans le panier.

Poétiques – Benacum

Joie de naître,
joie de fendre l’eau du lac
que veillent les cyprès,
joie de partir,
joie de mourir
et de renaître,
joie d’être la quille
qui s’élance
ivre de paisibles conquêtes.

Déesse alanguie
au creux des vertes collines
où mûrit la vigne altière,
tandis que le paysan s’active
à l’ombre de ses bras noueux,
ta beauté dépasse
et exprime à la fois
l’ivresse de ton vin,
la verdeur de tes côtes
et l’éclat de ta lumière.

Joie de rentrer au port,
de jeter l’ancre
à l’ombre des oliviers,
myriades de follicules vertes,
joie de se balancer
au creux du port,
quand tout s’endort
au sein de l’opulent Benacum.

Benacum: nom latin du lac de Garde.

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