Le Moulin de Villeneuve
# extraits

Chambres avec lavabo

Dans la plupart des villes, il arrive que tous les hôtels affichent complet. Parfois, devant votre mine déconfite, le réceptionniste propose une chambre équipée d’un simple lavabo. Mestre, Lodève, Arlon, trois villes où j’eus le bonheur de vivre cette expérience.

Mestre, ville issue de l’industrialisation, comme un bouton de fièvre sur le visage lisse de la Sérénissime. Mestre, passage obligé pour se rendre à Venise par la route. Je m’y suis arrêté, sachant que je ne pourrais pas trouver une chambre dans la cité des Doges en période de carnaval. Et là, oh ! merveille : « Si signor, abbiamo una piccola camera, senza doccia. » — « D’accordo, la prendo. » Petite, elle l’est assurément, équipée d’un lit en fer, d’une armoire et d’une chaise. Dans un coin, le lavabo, d’un blanc éblouissant, semble me dire : « Eh oui ! Il faudra bien t’en contenter. »

En revanche, le prix est très démocratique et la gare est à cent mètres, d’où en dix minutes, il est possible de joindre le Canal Grande. À moi, les éblouissements de la fête et l’austérité des conditions de logement. J’aime ce contraste. Lorsque je me promène à Venise, au milieu de cette foule bigarrée, en représentation, masquée et vêtue somptueusement, j’ai le sentiment de m’y fondre, car j’ai moi aussi mes petits secrets vestimentaires. Et personne ne pourrait imaginer que, le soir venu, je regagnerai ma modeste chambre. Le jour, je suis l’égal des grands, des riches et des puissants. Et la nuit, je considère avec dédain ceux-là qui ont dû payer le prix fort pour subir l’agitation bruyante des noctambules. Ma liberté est de rentrer à Mestre où je peuple mes rêves de toutes les belles images accumulées pendant le jour. L’austérité de ma chambre me donne accès au bruissement de la vie intérieure.

Lodève, quelques années plus tard. Je m’y rends pour assister au festival de poésie. Sans réservation de chambre, je dois affronter comme souvent les « Désolés, nous sommes complets. » Cependant, après trois essais infructueux : « Il nous reste une chambre sous le toit, avec un simple lavabo. » Je la prends sans hésiter.

Après avoir gravi les trois étages sans ascenseur, les bras raidis par le poids des bagages, j’aboutis dans une charmante mansarde d’où la vue s’étend sur les toits de la ville. Le lavabo cette fois est encastré dans un placard. Il est plus petit que celui de Mestre. Qu’importe ! Le lit semble confortable. Je défais ma valise et range mes vêtements. Puis je découvre un curieux mécanisme qui permet de faire sortir un bidet du placard. Je me lave les pieds salis par la poussière des chemins. Nous sommes en juillet  et le temps est chaud et sec dans le Lodévois.

L’hôtel est muni d’un restaurant. Je décide d’y prendre le dîner. Et là, une nouvelle surprise m’attend : la présence d’un grand nombre de journalistes. J’ignorais que la poésie suscitait un tel intérêt dans les médias. Voilà pourquoi tant de chambres étaient réservées. Ils sont une demi-douzaine, chacun à sa table, avec son ordinateur portable. Comme je m’en étonne auprès du serveur, celui-ci me fixe : « Comment ? Vous ignorez que le Tour passe par ici demain ? »

J’avoue que je suis venu pour un motif bien futile et je comprends maintenant la cause de ce déploiement et de cette affluence. Demain, pour me rendre au festival, je devrai franchir les barrières qui entourent la rue principale, empruntée par la caravane et les coureurs. Ce fleuve mediatico-sportif ravira la vedette aux poètes pendant quelques heures, avant que les petites rues du vieux Lodève ne retrouvent leur caractère paisible, propice à la méditation. Et le soir, je regagnerai ma petite chambre avec mon petit lavabo. Sans doute d’autres chambres se libéreront et je pourrais dès lors demander à en changer. Mais non, je la garderai. Elle me plaît et me semble tout à fait convenir à l’esprit qui m’habite en cet été 2002.

Bien plus tard, je fais route en direction d’Arlon, située à proximité des frontières française et luxembourgeoise. Cette fois, je ne suis pas seul et …

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