Villes-carrefours
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Strasbourg – Enjeux et perspectives

Depuis deux mille ans, Strasbourg est située aux confins de deux mondes, le monde latin et le monde germanique. Quelle est donc sa véritable nature ? La question peut paraître iconoclaste pour bon nombre de Français qui considèrent que l’Alsace est française, puisqu’elle fait partie intégrante de la République française. C’est peut-être oublier un peu vite l’empreinte de l’histoire.
Penchons-nous sur la ligne du temps, qui a vu cette ville changer plusieurs fois de main. Si l’on date la fondation de Strateburgum de l’occupation franque, soit en 450 de notre ère, elle a 1560 ans. Sur ce laps de temps, la présence germanique, prussienne et allemande cumulée s’élève à 863 ans, soit plus de la moitié. Et encore, est-il raisonnable de considérer la période franque (450-842) comme agent de la romanité ? Ce serait oublier que les Francs étaient des Germains.
On objectera que Jules César est arrivé en Alsace peu avant J.-C., qu’il y a implanté la langue latine d’où dérive le français. CQFD. Mais pour interpréter cette donnée, il faudrait savoir combien de Francs parlaient le latin du Ve au IXe siècle. Il faut noter à ce propos que la présence romaine à Strasbourg est nettement moins significative que dans d’autres villes telles que Trêves qui en a conservé d’importants vestiges.
Le fait est que, à partir du Traité de Verdun, les parlers germaniques ont largement dominé les échanges à Strasbourg et en Alsace en général. Par conséquent, ne faut-il pas considérer que, si on parle aujourd’hui le français en Alsace, ce n’est pas dû à Jules César, mais à Louis XIV. Il en résulte que la période française se réduit à moins de trois siècles, de 1681 à 2015, avec deux intermèdes germaniques, l’un de 48 années et l’autre de 4 ans.

L’histoire de la Bibliothèque de Strasbourg est à cet égard significative. À partir du XVIe siècle, la bibliothèque du séminaire protestant recueille le fonds du Gymnase Jean-Sturm. Une autre bibliothèque, municipale, est créée au XVIIIe siècle à partir d’un fonds privé. Ces deux bibliothèques rassemblent alors 300 000 volumes, dont 3 446 manuscrits de l’époque médiévale. Un grand nombre de ces ouvrages sont rédigés en latin.
Lors de l’invasion prussienne du 24 août 1870, le bombardement et l’incendie du Temple-Neuf détruisent la quasi-totalité de ces collections. Un appel aux dons est lancé. Un an plus tard, 200 000 volumes sont rassemblés. La bibliothèque prend le nom de Kaiserliche Universitäts und Landesbibliothek zu Strassburg, installée d’abord au Palais Rohan, avant d’intégrer en 1895 le nouveau bâtiment de style néo-Renaissance italienne.


Montréal – Enjeux et perspectives

Québec, une île francophone dans un océan anglophone, telle est la situation de ce territoire grand comme trois fois la France, mais peuplé seulement de sept millions d’habitants. Dès lors on peut comprendre les craintes des Québécois d’être assimilés linguistiquement et culturellement par leurs puissants voisins.
Paradoxalement, Montréal, capitale économique de la province du Québec, est la deuxième ville francophone du monde avec ses trois millions d’habitants (avec la banlieue). Pour comprendre cette situation, rappelons brièvement les faits marquants de l’histoire de Montréal.
1642 : Paul de Chomedey, Sieur de Maisonneuve, fonde une colonie d’une quarantaine de personnes sur l’île de Montréal, au lieu-dit Pointe-à-Callières. La population croît par l’arrivée régulière de colons français pour atteindre plusieurs milliers au début du XVIIIe siècle. Ainsi, de 1663 à 1673, 961 jeunes femmes embarquent à Dieppe et à La Rochelle pour peupler la colonie. On les appela « filles du roi » parce que leur équipement et leur voyage furent payés par le trésor royal.
1759 : au terme d’un siège de trois mois, Québec tombe aux mains des Britanniques. L’année suivante, le Marquis de Vaudreuil, commandant de la place de Montréal, se rend sans combattre. Les marchands britanniques prennent le contrôle du commerce de la ville.

A partir de là, le peuplement de Montréal va s’effectuer par l’apport d’éléments essentiellement anglophones. Anglais, Écossais et Irlandais viennent gonfler la population qui atteint 58.000 habitants au milieu du XIXe siècle. On assiste à une répartition géographique : les francophones à l’est et les anglophones à l’ouest. Tout au long du XIXe siècle, les gouvernements successifs favorisent l’immigration d’anglophones vers le Québec, mais aussi vers l’Ontario et vers les plaines de l’ouest. Parallèlement, on assiste à un exode des Québécois francophones vers les États-Unis, attirés par les salaires plus avantageux. A telle enseigne qu’on peut se demander comment le Québec et Montréal en particulier sont-ils restés majoritairement francophones. Il est vrai qu’à Montréal, la bourgeoisie capitaliste anglophone a fait venir des campagnes une main-d’œuvre francophone.

Mais il y a un autre facteur. Le développement économique favorise l’arrivée de nouveaux groupes d’immigrants : Italiens, Russes, Ukrainiens, des Juifs aussi qui fuient l’Europe devant la montée des nationalismes. Au début de la première guerre mondiale, la population de Montréal s’élève à un million d’habitants. Il est difficile de déterminer quelle est la part de francophones, car les nouveaux arrivants adoptent tantôt l’anglais, tantôt le français, parfois les deux. Il faut aussi rappeler que, avant l’indépendance des colonies britanniques qui formeront l’ébauche des États-Unis d’Amérique, le Nouvelle France s’étendait jusqu’à la Louisiane. Ceci témoigne de l’importance de la présence française sur le Nouveau Continent. Selon les statistiques, la population est majoritairement francophone au début du XXe siècle. A la fin du XXe siècle, le Québec, deuxième province du Canada avec sept millions d’habitants, est francophone à 83 %. Le Grand Montréal compte pour 46 % de la population de la Belle Province. En dépit de cette écrasante majorité, les francophones restent inquiets pour leur identité culturelle. Cette inquiétude alimente les velléités souverainistes, que nous évoquerons plus loin.

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