Singulier pluriel
# critiques

Association des écrivains belges de langue française

En ce roman -ou vaudrait-il mieux parler d’un croisement de nouvelles ?- Jacques Goyens fait preuve d’une grande maîtrise dans l’art de tisser ensemble des nouvelles qui ont l’amour (à la fois sentimental et érotique) comme point de départ. On y retrouve bien sûr des points communs (le geste, par exemple, de la femme qui découvre ses genoux en montant en voiture) mais la variété est bien au programme.

Le petit dieu lance-t-il donc ses flèches à l’aveuglette ? Les mélange-t-il dès le point de départ, si bien que Lui tombe amoureux d’ELLE alors qu’il aurait été beaucoup mieux au bras d’ELLE-bis ? Y aurait-il un peu de Marivaux chez Jacques Goyens ?

Les histoires se tiennent, elles sont bien ficelées ; on pourrait peut-être leur reprocher, au niveau du style, certaines longueurs, des digressions géographiques ou historiques parfois un peu longuettes, mais la perfection est-elle de ce monde ?

Joseph Bodson

Une galerie de portraits dans des vies de hasard – Non-dit n°95 avril 2012

Carpe diem quam minimum credula postero… Jacques Goyens se souvient du poète Horace qui cherchait à persuader Leuconoé de profiter du moment présent et d’en tirer tous les bénéfices, sans s’inquiéter ni du jour ni de l’heure de sa mort. « Cueille le jour sans te soucier du lendemain…» Le narrateur ne dit pas autre chose à la fin d’un récit à géométrie variable, axé sur le couple, la précarité, le hasard et l’improbable bonheur.

L’auteur maîtrise parfaitement les paramètres qui déterminent le couple et focalise fort habilement les éléments mobiles d’une destinée à tout le moins imprévisible. Les neufs récits qui composent l’ensemble ne constituent pas une suite chronologique. Le lecteur peut ainsi s’introduire dans autant d’univers dissociés mais cependant agités par le hasard. Ainsi, Arthur et Josiane qui retrouvent miraculeusement des essences vives de leur passé ; ainsi Charles et Jenny, poussés l’un vers l’autre par une envie d’être « évidente » ; ainsi Maurice et Virginie assortis par le vent de la confidence mais insidieusement rongés par l’indécision ; ainsi Maurin et Isabelle qu’un lacis de malentendus a subtilement désunis ; ainsi Marcel et Ophélie qui font le pari d’aplanir les saillies de la diversité sociale…

Chaque récit se distingue donc de tous les autres. Et cependant, le lecteur appréciera la même rigueur d’écriture, la minutieuse et symptomatique levée des indices, le mouvement lent et précis d’une attirance, d’un désir… Loin de la simple chronique de la vie à deux, l’auteur privilégie les zones d’ombre au sein du couple et souligne plus volontiers le développement d’une passion que la passion elle-même.

De toute évidence, le hasard apparaît comme le mentor des sentiments et le temps, son unique auxiliaire. L’auteur, retranché dans son emploi de chroniqueur, observe, lève la plume, prend la mesure du détail, corrige une trajectoire et se distancie autant de l’anecdotique que de la « norme » affective de laquelle il se défie. A mesure que le tableau se précise, les éléments qui s’effacent contredisent l’impulsion narrative première. Nous y retrouvons l’auteur … et quelquefois l’acteur … d’une comédie sentimentale aux multiples figures.
On imagine volontiers que la jeunesse, qui a servi de paysager aux différents récits, reste, dans l’imaginaire de l’auteur, comme une île de tous les possibles. On sent que tous les personnages, pétris d’humanité vraie, ne doivent pas chercher loin pour trouver leurs homologues. Par ailleurs, il serait vain de traquer ici les moindres réminiscences d’un réalisme de circonstance. Tout ici est léger, mobile, insaisissable et cependant si proche…

Jacques Goyens vient de composer un très beau roman de vie et d’amour, d’une délicatesse rare mais aussi dénué de toute complaisance pour une certaine rhétorique fondée exclusivement sur l’oralité, qui ponctue trop souvent la production d’aujourd’hui. Cette ligne claire, il la doit à une parfaite pondération entre son talent d’observateur et sa précision d’horloger. Reconnaissons que la vérité d’un conte doit beaucoup au seul talent du conteur.

Michel Joiret

La Revue Générale, janvier 2012

Ce troisième roman de Jacques Goyens nous intéresse parce que c’est comme une triple méditation, sur l’autobiographie toujours plus ou moins présente dans l’invention romanesque, sur les problèmes de composition que doit résoudre le romancier, et sur le destin.

Autobiographie : le narrateur, Maxime Pluriel, est à bien des égards le double de Jacques Goyens, écrivain habitué des séances de dédicaces, admirateur de la femme (une insondable énigme, d’après lui) et amateur de tourisme dans les belles régions de France. Composition : le roman est la juxtaposition de neuf récits, ce qui en fait presque un recueil de nouvelles, mais des liens ténus, subtils et un peu mystérieux relient les héros de ces textes l’un à l’autre. On peut se demander pourquoi l’auteur a choisi ce mode d’expression un peu ambigu, si ce n’est justement pour alimenter la réflexion sur les libertés et les difficultés de l’écriture. Destin enfin. C’est le principal sujet du livre. Neuf « tranches de vie » nous sont proposées, pour nous conter chaque fois la rencontre d’un homme et d’une femme, et non sans habileté narrative l’auteur montre que les circonstances sont les maîtres réels de nos destinées.

Dans l’épilogue, le ton change, devenant plus densément réaliste, peut-être parce qu’ici Jacques Goyens se met vraiment en scène sous les apparences de Maxime Pluriel, et par moment l’on croit (ou l’on espère ?) que le récit va basculer dans l’étrange, mais Goyens reste en deçà du genre fantastique, du « réalisme magique » qui a tenté tant d’écrivains belges.

L’écriture est posée, rigoureuse, peut-être un peu sèche. Je ne prendrai pas le risque de m’aventurer dans la psychocritique, mais il paraît clair que Jacques Goyens est préoccupé par sa propre vie (qui ne l’est ?), par l’écriture, et par le destin qu’il voit sous la forme attrayante et insondablement énigmatique de femmes successives. Si bien que Maxime Pluriel est Goyens, bien sûr ; mais bien des lecteurs pourront aussi s’y reconnaître, singulièrement.

Jean C. Baudet

Reflets Wallonie-Bruxelles

Singulier roman que ce roman au pluriel ! Plutôt que de s’en tenir à un seul schéma narratif et de le mener jusqu’à son terme, l’auteur met en chantier une dizaine d’histoires, indépendantes l’une de l’autre et dont le seul point commun, mais il est d’importance, est la première rencontre amoureuse. Il faudra attendre l’épilogue pour saisir l’astuce, l’intention première, ou le rêve fou que caresse le narrateur. Avant d’y parvenir et d’être médusé, le lecteur aura partagé les émois, les espoirs, les essais et erreurs, les instants haletants et les belles victoires remportées par les uns et les autres, Charles et Jenny, Michel et Prisca, Maurice et Virginie, Maurin et Isabelle… Nous ne pouvons les citer tous. Mais tous sont placés devant cette grave question qui taraude Goyens lui-même depuis qu’il s’est lancé dans l’aventure du roman : se rencontre-t-on par hasard ou est-on appelé vers l’autre, comme si l’on était « fait » littéralement pour lui ? Dans ce cas, sommes-nous les jouets du Destin qui s’ingénie à nous pousser vers celle ou celui qui nous est désigné, à la faveur de circonstances parfois rocambolesques, ou romanesques ou tout simplement d’une banalité désarmante ? Peu importe les moyens ou la stratégie, du moment que Marcel et Ophélie vivent le grand amour ou que Marc et Myriam, par exemple, entreprennent ensemble un merveilleux voyage… L’occasion est belle pour l’auteur, on l’aura compris, de recréer les lieux ou d’imaginer les circonstances, les gestes et les mots de la découverte de l’élu. On retrouve sa curiosité, son don d’observation, ses fantasmes, sa passion de mettre en scène ce qu’il a vécu, vu ou souhaité connaître. Cela nous vaut des pages agréables à suivre, des moments délicieux ou parfois tragiques à ressentir en empathie avec les personnages, des villes et des paysages à parcourir en touriste éclairé ou en marcheur méditatif, autant de séquences qui nous amènent, du singulier de notre petite histoire personnelle au pluriel unanimiste pratiqué jadis par quelques gloires littéraires de la première moitié du XXème siècle.

Un roman ? Certes, si l’on veut se donner la peine de retrouver le fil de « toutes ces vies qui, pour finir, n’en font plus qu’une »… comme le disait si justement un authentique romancier, Italo Calvino.

Michel Ducobu

Inédit nouveau, n°255 mars-avril 2012

Je viens de découvrir un pluriel très singulier dans le dernier roman (mais est-ce un roman ? Je doute) de Jacques Goyens, qui m’avait déjà surpris par son humanité dans un livre précédent, Mon père, cet inconnu, recensé dans notre numéro 228, et qui était lui, malgré la réalité écrite comme des mémoires, un vrai roman, et les autres, poèmes ou proses (Inédit 204, 207, 249). Singulier Pluriel, lui, a l’apparence d’un recueil de nouvelles, mais l’auteur insiste pour l’appeler roman, précisant que certains personnages reviennent parfois et proposant au lecteur de « reconstituer la trame cachée qui gouverne les personnages ». Je ne me suis pas attelé à cette enquête et me suis contenté d’assister en lecteur naïf à ces neuf histoires de couples qui se font et se défont. Des récits, comme il les appelle ? Non, plutôt des tableaux, car il n’y a dans chaque texte ni début ni fin. A croire que cette galerie de portraits constitue une salle de musée où les toiles s’examinent et se répondent en une visite guidée par les amours. J’ai adoré la constatation que la jument, en Camargue, conduise le petit taureau noir, et que Goyens soit sensible à la devise de l’abbaye de Thélème avec son terrible frère Jean pour battre Picrochole. (Edition Edilivre, Saint-Denis)

Paul Van Melle

La Libre Belgique du 12 mars 2012

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